L’exposition „Lumières de France” invite à explorer un chapitre méconnu de l’histoire estonienne, où la France, bien au-delà de ses frontières, a joué un rôle clé dans la construction de phares — symboles de lumière et de progrès scientifique. Elle met en valeur un héritage qui continue d’inspirer les générations d’aujourd’hui, grâce aux innovations et à l’élan créatif portés par ces édifices.
À travers une sélection de photographies de phares d’origine française, accompagnée de documents d’archives et de récits fascinants, l’exposition retrace leur influence sur les côtes estoniennes. Une expérience immersive en réalité virtuelle permet également aux visiteurs de découvrir le phare de Ristna, situé sur l’île de Hiiumaa, à travers un modèle 3D fidèle à sa conception originale par l’ingénieur Gustave Eiffel en 1874.
Commissaire de l'expositio : Indrek Laos
Photos : Tarmo Baranovski, Leo Käärmann, Indrek Laos, Siim West
Visualisation 3D : Andreas Kivi
Conception : Mae Kivilo
L'exposition est organisée avec le soutien de l'Institut français d'Estonie
Remerciements particuliers à Emmanuel Rimbert, Conseiller de Coopération et Culture à l'Ambassade de France en Estonie et Directeur de l’Institut français d’Estonie, pour son enthousiasme et son engagement
1
Service des phares et balises à Paris
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Paris s’impose comme un véritable épicentre du progrès scientifique et technique, prolongeant l’héritage du Siècle des Lumières. Le bâtiment principal du Service des phares et balises, situé à proximité du Champ-de-Mars, abritait une collection remarquable d’instruments d’optique provenant de phares du monde entier, ainsi que des tours métalliques préfabriquées conçues par des ingénieurs français. La lanterne installée au sommet du bâtiment servait à tester différentes innovations en matière d’éclairage et à mener des expérimentations techniques.
Phare de Keri
Construit en 1623, 1858
Tour métallique et lanterne : Léonce Reynaud
Optique du 2e ordre : Henry-Lepaute
Les phares des côtes estoniennes entretiennent un lien historique fascinant avec la France. Les premières optiques de Fresnel sont arrivées en Estonie dans le cadre de la reconstruction du phare de Keri, en 1858. La tour métallique innovante fut fabriquée selon la solution technique décrite par Léonce Reynaud, dans l’usine de galvanoplastie Genke, Pleske & Morandi de Saint-Pétersbourg. L’appareil d’éclairage de second ordre du phare fut réalisé par Henry-Lepaute, mécanicien de précision et horloger installé à Paris.
La coupole de la lanterne du phare de Keri est décorée de gargouilles en forme de mascarons à tête de lion, une marque de fabrique de Reynaud. Photo - I. Laos
Illustration: Phare de Keri. Photo - Siim West
2
Les Phares comme les étoiles dans le ciel
Si, à l’origine, les navigateurs s’orientaient grâce aux repères naturels, aux étoiles ou encore aux feux allumés sur les plages, c’est au milieu du XVIIIe siècle que l’on apprend à concentrer la lumière à l’aide de réflecteurs. Inspirés par la classification de la luminosité des étoiles en astronomie, les phares furent alors répartis en six catégories selon leur puissance lumineuse.
Phare d'Osmussaare
Construit en 1648, 1875 - 1941
Lanterne et optiques de 2e ordre : Barbier & Fenestre
Le lien entre le phare d’Osmussaare et les maîtres français remonte à 1875, lorsque, dans le cadre de la construction du phare de Tahkuna, il fut décidé de rehausser celui d’Osmussaare afin d’en améliorer la visibilité permanente. La tour ainsi surélevée fut équipée d’un appareil optique de 2ᵉ ordre, fabriqué par la maison française Barbier & Fenestre.
Dessin de l'appareil d'éclairage et de la lanterne du phare d'Osmussaare. Source : Eesti Meremuuseum SA (MM_734/16 D)
Carte postale du phare d'Osmussaar, vers 1910. Collection Jaan Vali
3
Augustin-Jean Fresnel
Inventeur français, créateur de l’optique de Fresnel, membre de la Commission des Phares de 1819 à 1827
Une véritable révolution dans la navigation a eu lieu avec la mise au point de la lentille dioptrique par A. Fresnel, ainsi que sa première utilisation en 1823 au phare de Cordouan, en France. Les dispositifs d’éclairage utilisant cette nouvelle technologie se sont rapidement répandus à travers le monde.
Phare de Pakri
Construit en 1724, 1888
Lanterne et optique hyperradiale du 1er ordre : Barbier & Cie
Le sommet de la maîtrise technique de l’optique de Fresnel fut atteint en 1888 avec l’installation d’une optique hyperradiale au phare de Pakri. Malheureusement, seuls subsistent aujourd’hui le cadre métallique de base, portant la plaque du fabricant, ainsi qu’une photographie prise lors de l’Exposition universelle de Paris en 1889, où la lanterne fut présentée avant d’être acheminée vers la péninsule de Pakri.
L'appareil catadioptrique hyperradial du phare de Pakri a un diamètre interne de 2,66 m. Fabriqué par F. Barbier & Cie, Paris, 1888. Photo : exposition d'optique à l'Exposition universelle de 1889
Illustration: Carte postale du phare de Pakri. Collection Indrek Laos.
4
Léonce Reynaud (1803-1880)
Ingénieur et architecte, constructeur de phares, chef du Service des phares et balises de 1846 à 1878.
L'invention de Fresnel a été mise en œuvre par Léonce Reynaud, également ingénieur et concepteur de nombreux phares en France. Reynaud a développé une structure de tour métallique avec un cadre porteur interne en profilés en T, une innovation qui fut utilisée pour la première fois en 1862 dans la construction du phare Amédée en Nouvelle-Calédonie. Cependant, cette même structure fut employée dans la construction du phare de Keri, achevé deja quatre ans avant.
Phare de Naissaare
Construit en 1788, 1890 - 1941
Lantrene : Léonce Reynaud
Optique du 2e ordre : Henry-Lepaute
De l'ancien phare de Naissaare, il ne subsiste qu'une seule gargouille à dôme, en forme de mascaron à tête de lion, œuvre de Reynaud, qui constitue l’un des éléments les plus caractéristiques de sa réalisation. En 1890, un appareil d’éclairage équipé d’optiques Henry-Lepaute de 2ᵉ ordre fut installé dans la tour. Il est possible que cette innovation ait inspiré Bernard Schmidt, le protagoniste du roman de Jaan Kross, à concevoir une lentille de télescope sans buée.
Lanterne de l'appareil optique d'éclairage de 2ème ordre de Reynaud. Phares et Balises PL.8. L. Reynaud, "Mémoire sur l'éclairage", 1864
Illustration: Gargouille provenant du phare de Naissaare. Photo -Indrek Laos
5
Typologie des phares
Au fur et à mesure des avancées technologiques, les phares, jusque-là principalement construits en pierre et en bois, commencèrent à être fabriqués en métal au XIXe siècle. Le type de tour en fonte conçu par les ingénieurs anglais fut rapidement remplacé par des structures en fer, de plus en plus variées. Ces dernières cédèrent ensuite la place, au début du XXe siècle, à des solutions utilisant des éléments préfabriqués en béton.
Phare de Narva-Jõesuu
Construit en 1808, 1886, 1903 - 1941
Lanterne et optiques du 3ème ordre : Barbier & Fenestre
Au XVIIe siècle, Narva était un centre clé du commerce oriental suédois. Le premier feu de signalisation fut installé à l'embouchure de la rivière pendant la période suédoise. En 1886, un feu équipé d’une optique de 3ᵉ ordre et d’une chambre de lanterne métallique fut commandé à la société française Barbier & Fenestre pour le phare de Narva-Jõesuu. Cette optique, ainsi que la tour en pierre d’origine, furent détruites pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1957, un nouveau phare en béton fut érigé à leur place.
Carte Maxi du phare de Narva-Jõesuu. Série de timbres sur les phares estoniens. Roman Matkiewicz, 2022
Illustration: Carte postale du phare de Narva, vers 1910. Collection Jaan Vali
6
Augustin Henry-Lepaute (1800-1885)
Ingénieur mécanicien spécialisé dans la construction de phares et la fabrication d’optiques de Fresnel, fondateur de la société Henry-Lepaute.
Le premier fabricant d’optiques pour phares fut Augustin Henry-Lepaute, mécanicien de précision et horloger, qui fonda son entreprise à Paris en 1827. En plus de nombreuses optiques de phare et mécanismes rotatifs, son atelier est également célèbre pour la création de l'horloge monumentale sur le fronton de l'Hôtel de Ville de Paris, qui fonctionne toujours aujourd’hui.
Phare de Viirelaiu
Construit en 1836, 1881-1941
Optique du 4e ordre : Henry-Lepaute
En raison des eaux peu profondes et des conditions de navigation dangereuses dans le passage des gorges de Viirelaiu, le phare de Viirelaiu fut initialement nommé Paternoster lors de sa construction. La tour métallique d'origine, équipée d’un appareil optique de 4ᵉ ordre, fut commandée à l’atelier de l’ingénieur Henry-Lepaute à Paris. Lors de sa reconstruction en 1965, les nervures métalliques de la tour furent retirées et celle-ci fut recouverte d’une couche de béton de 10 cm d’épaisseur.
Phare de Paternoster (Viirelaiu), 1925. Eesti Meremuuseum SA (MM_2396/434D537/424)
Illustration: Photo du phare de Paternoster, vers 1935. Collection Jaan Vali
7
Paris, la capitale des phares
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, Paris s'impose comme la capitale des phares, où la majorité des optiques utilisées à travers le monde sont fabriquées. Trois sociétés — Henry-Lepaute, Sautter & Lemonnier, et Barbier & Fenestre — se partagent le marché français et international des optiques de phare.
Phare inférieur de Tallinn
Construit en 1806, 1862, 1886
Optique de visée 3ème étage : Barbier & Fenestre
L’éclairage du phare inférieur de Tallinn a été modifié à plusieurs reprises au fil des ans. L’optique Henry-Lepaute, installée en 1862, fut remplacée en 1873 par la lampe Chance Brothers. Aujourd’hui encore, un feu cible, fabriqué en 1886 dans l’atelier Barbier & Fenestre à Paris, capitale des phares à l’époque, continue de fonctionner comme feu de réserve.
Lighthouse in Kadriorg. Designed by Lorenz Heinrich Petersen, 1870. Engraving, 16.4 x 24.8 cm, AM_6989G872 Phare de Kadriorg. Lorenz Heinrich Petersen, 1870. Gravure 16,4 x 24,8 cm, AM_6989G872
Illustration: Optique de Barbier & Fenestre, constructeurs, Paris 1886. Photo - Indrek Laos
8
Louis Sautter (1825-1912)
Ingénieur, fabricant d'optiques de Fresnel, fondateur et directeur de la société Sautter & Lemonnier de 1852 à 1883.
En 1852, Louis Sautter reprend l'atelier d'optique de François Soleil et fonde son entreprise de fabrication de phares rue Suffrein, à proximité de la place de Mars. En 1883, son fils Gaston Sautter prend la relève, et, en association avec Émile Harlé, l’entreprise est rebaptisée Sautter, Harlé & Cie.
Phare supérieur de Tallinn
Construit en 1835, 1895
Optique du 2e ordre : Sautter, Harlé & Cie
La lanterne du phare supérieur de l'enceinte portuaire de Tallinn a été fabriquée en 1895 par l'atelier Sautter, Harlé & Cie, concurrent de Barbier. Le dispositif optique de second ordre, toujours bien conservé, fonctionne encore aujourd’hui comme éclairage de secours pour le viseur composé.
Fabricant d'optiques de phare Sautter, Harlé & Cie – Paris, 1895. Plaque d'usine sur la colonne de support de la lanterne. Photo - I. Laos
Illustration: Optique de Sautter, Harlé & Cie. Photo - Indrek Laos
9
Louis Lecointre (1820-1890)
Ingénieur en chef du chantier Forges et Chantiers de la Méditerranée
Pour la construction des phares, Sautter a collaboré avec plusieurs entreprises spécialisées dans les structures métalliques, notamment l'entreprise de construction navale Forges et Chantiers de la Méditerranée. Les tours métalliques à supports tubulaires, brevetées par l'ingénieur en chef de la société, Louis Lecointre, étaient équipées de dispositifs optiques fabriqués par l'usine Sautter.
Phare de Ruhnu
Construit en 1875
Tour métallique : Louis Lecointre, ingénieur FCM
Optique de 2ème ordre : Sautter, Lemonnier & Cie
Le modèle du phare de Ruhnu, avec ses supports en tuyaux, a été initialement conçu dans le cadre du concours d'architecture pour le phare de Port-Saïd, organisé à l'occasion de l'ouverture du canal de Suez. Cette solution économique a remporté la première place dans la catégorie des phares métalliques. La conception technique a été imaginée par Louis Lecointre, ingénieur en chef de l'association Forges et Chantiers de la Méditerranée, qui s'est inspiré des structures de mâts des navires en fer.
Plaque d'usine sur la porte du phare de Ruhnu. Forges et Chantiers de la Méditerranée, Le Havre, 1875.
Photo : I. Laos
Illustration: Phare de Ruhnu. Photo - Indrek Laos
10
Frédéric Barbier (1834-1912)
Fabricant d'optiques Fresnel, fondateur et copropriétaire de Barbier & Fenestre depuis 1862
En 1862, Frédéric Barbier fonde la société Barbier & Fenestre, qui deviendra plus tard Barbier, Bénard & Turenne (BBT), une entreprise qui connaîtra un immense succès international grâce à ses produits. L'entreprise a fonctionné sans interruption jusqu'en 1982, offrant également des solutions complètes pour la fabrication de phares.
Phare de Tahkuna
Construit en 1875
Tour de fer et optique de 1ère classe : Barbier & Fenestre
Le phare en fonte de Tahkuna est le tout premier phare fabriqué en solution complète par la société Barbier. Afin d'améliorer la solution technique conçue par l'ingénieur anglais Alexander Gordon, un assemblage de joints spécial avec une bande de recouvrement a été développé. Cette innovation a été brevetée en 1872 et mise en œuvre immédiatement lors de la construction du phare de Tahkuna.
Phare de Tahkuna. Appareil à lumière dioptrique de 1ère classe Barbier & Fenestre, 1873. Collection du Musée de Kassari. Photo : I. Laos
Illustration: Phare de Tahkuna. Photo - Tarmo Baranovski
11
Gustave Eiffel (1832-1923)
Ingénieur, fondateur et directeur d'Eiffel & Cie de 1866 à 1892, constructeur de la tour Eiffel à l'occasion de l'Exposition universelle de Paris en 1889
En 1868, Louis Sautter et l'ingénieur Gustave Eiffel déposent un brevet commun pour la fabrication de mâts métalliques de phare innovants. Entre 1868 et 1892, l'usine Eiffel de Levallois-Perret a fabriqué 12 phares métalliques, ainsi que de nombreux petits phares portuaires et chambres à incendie, sur commande de la société Sautter, y compris la structure métallique du phare de Ristna.
Phare de Ristna
Construit en 1874
Tour métallique : Gustave Eiffel
Optique de 3ème ordre : Sautter, Lemonnier & Cie
15 ans avant l’érection de la Tour Eiffel à Paris, Gustave Eiffel a fabriqué la structure métallique du phare de Ristna à la demande de Louis Sautter. La tour métallique à contreforts en treillis a été conçue selon le modèle décrit dans le brevet conjoint Sautter-Eiffel, enregistré en 1868, et a été fabriquée dans l'atelier d'Eiffel.
Phare de Dagerort. Liste des produits de l’atelier de Gustave Eiffel, 1864-1889. Archives ADGE,
Photo : I. Laos
Illustration: Phare de Ristna. Photo - Indrek Laos
12
Phares aux expositions universelles
Les entreprises de phares ont présenté leurs produits les plus innovants lors des Expositions universelles de Londres, Vienne, et Paris, en 1855, 1867, 1878, 1889 et 1900. La monumentale Tour Eiffel, érigée en 1889, demeure encore aujourd'hui un symbole de liberté et de déterminatin sur la Champ de Mars, un lieu qui a accueilli plusieurs Expositions universelles où étaient mises en avant les dernières inventions techniques.
Dôme du phare de Kõpu
Construit en 1531, 1860, 1900
Dôme métallique : Gustave Eiffel
Optique de 1er ordre : Sautter, Harlé & Cie
Lors de l'Exposition universelle de Paris en 1900, un dôme métallique, accompagné d'un appareil d'éclairage de première classe, a été acheté à la société Sautter, Harlé & Cie pour le phare de Kõpu. Le dôme en cuivre à deux couches de la lanterne a été fabriqué selon la nouvelle solution décrite dans l'annexe du brevet Sautter-Eiffel.
Dessin d'un dôme en cuivre à double couche. Brevet d'invention Sautter-Eiffel, annexe 2 : Améliorations dans la construction du dôme de la lanterne, 15.12.1868. INPI, n° 83080
Illustration: Phare de Kõpu. Photo - Leo Käärmann
---
Selon l'Office estonien des transports, il existe près de 15 000 phares dans le monde, dont 360 autour de la mer Baltique et 55 en Estonie. À titre de comparaison, la France compte environ 135 phares.
En coopération avec les communautés locales, 12 phares en Estonie sont ouverts au public : ceux de Narva-Jõesuu, Naissaare, Pakri, Osmussaare, Saxby, Tahkuna, Kõpu, Ristna, Kihnu, Vilsandi, Sõrve et Ruhnu, attirant près de 100 000 visiteurs chaque année.
Il existe également 16 complexes de phares protégés au titre du patrimoine : les phares de Kõpu, Suurupi supérieur et inférieur, Keri, Tallinn supérieur et inférieur, Vilsandi, Mohni, Vormsi, Ristna, Tahkuna, Ruhnu, Pakri, Käsmu, Laidunina et Kunda.
La liste des 100 phares remarquables de l'Association internationale des autorités de navigation (IALA) comprend six phares estoniens : Kõpu, Ruhnu, Tahkuna, Keri, Pakri et Suurupi.
www.ristnaeiffel.ee